Pour Andrée
09/03/2015- Portraits
Nous sommes quelques un(e)s à l'avoir cotoyée, à avoir partagé son intimité, son imaginaire, ses projets... Nombreux sont les hommages, certains témoignages plus inspirés que d'autres, métier de création oblige...
Voici le mien, parmi tant d'autres.
Andrée jouait du piano, comme souvent les jeunes filles de la bourgeoisie avant la guerre. Perfectionniste, têtue, elle poursuivait cette passion, jusqu'à recevoir des mains de Francis Poulenc un Premier Prix du Conservatoire, et cela aurait pu être le début d'une carrière...
Ce prix était un prix d'harmonie, en fait un prix de "composition", et non un prix d'interprétation. La différence est infime, et pourtant... Tout est là.
Jour après jour, nous l'écoutions nous parler. Musicienne, son phrasé nous le révélait. Elle seule s'exprimait ainsi, construisant une approche du projet par la parole, composant un monde par la voix, les mots, avec une diction irréprochable et lumineuse. Parfois une note écrite, ou une lettre plus personnelle, dévoilait le cheminement de sa pensée par une écriture au graphisme baroque et enlevé, qui cernait l'âme du projet avec une infinie clarté. Il suffisait alors de se mettre à dessiner.
Nous étions autour d'elle, ses interprètes, chacun avec un talent particulier qui, mis ensemble, firent émerger ce bureau d'études au début des années '80.
On a beaucoup parlé de ce "style", si singulier mais si lisible. Au delà de l'histoire personnelle d'Andrée, cette identité était la résultante d'une alchimie qu'elle seule développait entre sa propre parole et le dessin des autres.
Il nous semblait toujours étonnant de voir avec quel détachement elle abordait si justement le phénomène de création, car, à la lumière de ses relations avec le monde artistique, c'était pour elle une évidence que de proposer une "idée originale". Nous en riions parfois, sur un projet sensible ou lors de la visite d'un lieu, de savoir s'il fallait oser ceci ou cela, car elle osait toujours ! Andrée savait retourner à l'origine, au genius loci ou au genius personae, déconstruire la demande du client, sa pensée, par une rhétorique implacable qui nous ravissait.
Comme on le lit en ce moment, outre ses talents de styliste cultivée, son obsession de travailler les contrastes ("le riche et le pauvre"...) , elle savait surtout mettre à plat les modes de vies. L'habitude, l'usage, paramètres incontournables de notre métier, étaient systématiquement remis en jeu avec élégance et humour. C'est peut-être dans cette distanciation que se situait sa force.
Andrée était bien "à l'écart" du monde de la décoration et de l'architecture, lequel l'a pourtant beaucoup observée, avec respect mais avec une interrogation constante sur son personnage. ECART est devenu le nom de cette agence qu'elle créa avec Jean-François Bodin et dont la production fut pour plusieurs d'entre nous un révélateur de nos personnalités.
Son papier à entête, par un jeu graphique de "papier plié", faisait ressortir l'inverse : TRACE... C'est ce qu'Andrée Putman laisse aujourd'hui dans notre quotidien, dans notre profession, et... dans mon coeur, une trace indélébile.
Thierry Conquet
Voici le mien, parmi tant d'autres.
Andrée jouait du piano, comme souvent les jeunes filles de la bourgeoisie avant la guerre. Perfectionniste, têtue, elle poursuivait cette passion, jusqu'à recevoir des mains de Francis Poulenc un Premier Prix du Conservatoire, et cela aurait pu être le début d'une carrière...
Ce prix était un prix d'harmonie, en fait un prix de "composition", et non un prix d'interprétation. La différence est infime, et pourtant... Tout est là.
Jour après jour, nous l'écoutions nous parler. Musicienne, son phrasé nous le révélait. Elle seule s'exprimait ainsi, construisant une approche du projet par la parole, composant un monde par la voix, les mots, avec une diction irréprochable et lumineuse. Parfois une note écrite, ou une lettre plus personnelle, dévoilait le cheminement de sa pensée par une écriture au graphisme baroque et enlevé, qui cernait l'âme du projet avec une infinie clarté. Il suffisait alors de se mettre à dessiner.
Nous étions autour d'elle, ses interprètes, chacun avec un talent particulier qui, mis ensemble, firent émerger ce bureau d'études au début des années '80.
On a beaucoup parlé de ce "style", si singulier mais si lisible. Au delà de l'histoire personnelle d'Andrée, cette identité était la résultante d'une alchimie qu'elle seule développait entre sa propre parole et le dessin des autres.
Il nous semblait toujours étonnant de voir avec quel détachement elle abordait si justement le phénomène de création, car, à la lumière de ses relations avec le monde artistique, c'était pour elle une évidence que de proposer une "idée originale". Nous en riions parfois, sur un projet sensible ou lors de la visite d'un lieu, de savoir s'il fallait oser ceci ou cela, car elle osait toujours ! Andrée savait retourner à l'origine, au genius loci ou au genius personae, déconstruire la demande du client, sa pensée, par une rhétorique implacable qui nous ravissait.
Comme on le lit en ce moment, outre ses talents de styliste cultivée, son obsession de travailler les contrastes ("le riche et le pauvre"...) , elle savait surtout mettre à plat les modes de vies. L'habitude, l'usage, paramètres incontournables de notre métier, étaient systématiquement remis en jeu avec élégance et humour. C'est peut-être dans cette distanciation que se situait sa force.
Andrée était bien "à l'écart" du monde de la décoration et de l'architecture, lequel l'a pourtant beaucoup observée, avec respect mais avec une interrogation constante sur son personnage. ECART est devenu le nom de cette agence qu'elle créa avec Jean-François Bodin et dont la production fut pour plusieurs d'entre nous un révélateur de nos personnalités.
Son papier à entête, par un jeu graphique de "papier plié", faisait ressortir l'inverse : TRACE... C'est ce qu'Andrée Putman laisse aujourd'hui dans notre quotidien, dans notre profession, et... dans mon coeur, une trace indélébile.
Thierry Conquet